Livre 5/20 pour gagner 20 ans dans la vie, exceptionnellement en accès libre car c'est un ouvrage d'intérêt général.
Mais ce livre peut vous accompagner toute la vie. Passé quasi inaperçu, à sa parution, en 1932, avec une diffusion de seulement 700 exemplaires, il est toujours d’une actualité brûlante. Je plonge souvent dedans après l’avoir lu à vingt ans, dans la foulée de Mai 68, quand le Général commençait à m’émouvoir, alors qu’au couchant de son règne, le sol de France se dérobait sous ses pieds.
C’est aussi un prophète. À l’aube du XXème siècle, à l’âge de quinze ans, il avait déjà écrit une nouvelle de politique-fiction qui racontait une guerre imaginaire, en 1930, entre la France et l’Allemagne, où un certain général de Gaulle sauvait la patrie en danger. Plus tard, en 1934, il publiera Vers l’armée de métier où il préconise la création d’unités blindées autonomes pour rompre les lignes ennemies, doctrine qui permit au général allemand du IIIème Reich Heinz Guderian d’écraser la France en juin 40. Un ouvrage qu’Hitler avait lu et où il disait avoir beaucoup « appris ». Dès les années 40, de Gaulle prédira souvent, en petit comité, l’inéluctable décolonisation et la souhaitable indépendance de l’Algérie.
même s’il y est beaucoup question de guerre, stratégie, commandement, etc. C’est plutôt un guide de survie dans notre monde de brutes, une torpille contre le conformisme qui nous chloroforme tous, plus ou moins, la feuille de route que se fixe le futur grand homme pour les décennies à venir. C’est surtout l’oeuvre prémonitoire d’un jeune « chef » de trente-sept ans, habité par la mission qu’il s’est assignée : « treize ans avant la catastrophe imprévisible », écrira François Mauriac, il sait d’avance « ce qu’il fera et ce qu’il sera ».
dont il dira souvent, après la deuxième guerre mondiale, qu’elle nous enterrera tous : « Notre temps est dur pour l’autorité. Les moeurs la battent en brèche, les lois tendent à l’affaiblir (…). Heurtée d’en bas chaque fois qu’elle se montre, elle se prend à douter d’elle-même ». Selon lui, la décadence est là, qui « suit le déclin de l’ordre moral, social, politique », lequel est, depuis des siècles, « en usage dans nos vieilles nations ». « Les contemporains, observe-t-il, ne trouvent plus le goût de l’antique déférence, ni le respect des règles d’autrefois ».
« Une pareille crise, pour générale qu’elle paraisse, répond de Gaulle, ne saurait durer qu’un temps ». S’il est convaincu que l’Histoire est tragique, la petite flamme de l’optimisme brûle toujours en lui. Quand tout vacille ou s’écroule autour de nous, on peut encore se raccrocher à « la valeur individuelle » et à « l’ascendant de quelques uns » : « Les conventions d’obéissance » se délitant, « le prestige personnel du chef devient le ressort du commandement ». D’où l’importance, dans périodes-là, des personnages d’exception qui peuvent changer le cours des choses.
Et de citer le cardinal de Retz : « Les lois désarmées tombent dans le mépris ». Dieu soit loué, les armées nous protègent. Sans elles, il n’y a plus rien, ni règles, ni droit international. Si les armes « furent de tout temps l’instrument de la barbarie », elles ont aussi façonné le monde : « Il n’y eut d’hellénisme, d’ordre romain, de chrétienté, de droits de l’homme, d’ civilisation moderne, que dans leur effort sanglant ». Mais, après son apologie souvent grandiloquente de la chose militaire, c’est sa conception du chef en forme d’autoportrait anticipé, qui constitue le morceau de bravoure du livre.
et que beaucoup de nos gouvernants auraient été bien inspirés de suivre. Même vous ne vous sentez pas une âme de chef, elles peuvent vous servir dans votre vie quotidienne. Ainsi : « Face à l’évènement, c’est à soi-même que recourt l’homme de caractère ». Ou bien : « L’autorité ne va pas sans prestige, ni le prestige sans éloignement ». Ou aussi : « Rien ne rehausse mieux l’autorité que le silence, splendeur des forts et refuge des faibles ». Ou encore : « La passion d’agir par soi-même s’accompagne, évidemment, de quelque rudesse dans les procédés ».
Dans ce livre, Machiavel perce souvent sous Clausewitz. N’en déplaise aux gaullolâtres, de Gaulle n’est pas un saint de vitrail. Sinon, ce grand roué ne serait pas revenu au pouvoir en 1958, grâce au général Salan et à d’autres militaires partisans de « l’Algérie française », pour faire le contraire et donner l’indépendance à l’Algérie. Le gaullisme se déploie déjà dans ces pages, qui est d’abord un volontarisme pragmatique, tout sauf doctrinaire « Il semble, note-t-il ainsi avec sévérité, que l’esprit militaire français répugne à reconnaître à l’action de guerre le caractère essentiellement empirique qu’elle doit revêtir ».
Le gaullisme, c’est ce qui reste quand on s’est débarrassé des idéologies qui pensent à votre place.
Mon édition préférée : Le fil de l’épée par Charles de Gaulle dans la collection de poche Tempus, aux éditions Perrin, avec une présentation d’Hervé Gaymard, 146 pages, 7 euros.
Abonnez-vous et recevez chaque jeudi matin mon commentaire de l’un des 20 livres à lire avant 20 ans pour gagner 20 ans dans la vie.