En 1958, j’avais neuf ans et, après l’école, entre deux musarderies sur les bords de la Seine, à Saint-Aubin-les-Elbeuf, en Normandie, je flânais dans la bibliothèque de mes parents quand, un jour, je sortis des rayons Quatre-vingt-treize de Victor Hugo.
Les livres sont comme des amis et peuvent vous accompagner
toute la vie qu’ils vous ont, d’une certaine manière, apprise. C’est ce que j’ai compris après que Quatre-vingt-treize m’eut ouvert tant d’ horizons, au point que je décidai de devenir écrivain : Victor Hugo ou rien.
Ce roman est un miracle.
Un demi-siècle plus tard, j’ai voulu relire Quatre-vingt-treize en me demandant comment j’avais pu être emporté, si jeune, par la lecture d’un livre à la construction aussi sophistiquée, qui avait laissé sur moi des traces indélébiles. La réponse s’est imposée : c’est parce que Hugo a l’art de raconter et de tout transformer en poème épique. C’est aussi parce qu’il laisse le lecteur choisir son camp.
Les robespierristes adorent « Quatre-vingt-treize »
mais les royalistes n’ont aucune raison de le détester. Hugo n’impose rien. Il est partisan de la Révolution, bien sûr. Mais, dépourvu de cette indignation ou compassion sélectives qui sont la marques de notre époque, il laisse vivre ses personnages en livrant leur point de vue avec empathie. Il m’a ainsi donné ma première leçon d’éducation politique et inculqué dès l’enfance une exigence de recul sur les grands évènements historiques, à commencer la Révolution française dans laquelle il nous plonge quand, après la secousse de 1789, elle s’abîme dans la Terreur de 1793.
Victor Hugo ne prétend pas écrire l’histoire, mais la légende.